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Publié : 19 janvier 2013

Cassini contre acte ancien sur un cours d’eau domanial (2003)

Cour Administrative d’Appel de Bordeaux 4 décembre 2003

Considérant qu’aux termes de l’article 1er de la loi du 16 octobre 1919 relative à l’utilisation de l’énergie hydraulique : Nul ne peut disposer de l’énergie des marées, des lacs et des cours d’eau, quel que soit leur classement, sans une concession ou une autorisation de l’Etat... ;

qu’aux termes de l’article 29 de cette même loi : Les usines ayant une existence légale, ainsi que celles qui font partie intégrante d’entreprises déclarées d’utilité publique et pour lesquelles un règlement spécial sera arrêté par un décret rendu en Conseil d’Etat, ne sont pas soumises aux dispositions des titres 1er et V de la présente loi... ;

Considérant, en premier lieu, que la société hydroélectrique de Lacave a produit un acte en date du 30 septembre 1424, confirmé par un jugement en date du 8 mai 1670, établissant l’existence, antérieurement à l’édit de Moulins, d’un moulin situé sur la rivière du Salat à Lacave ;

qu’un acte de vente en date du 12 mai 1817 mentionne l’existence de trois moulins situés à Lacave sur la rivière du Salat ;

qu’une ordonnance royale en date du 18 janvier 1847 autorise à reconstruire sur la rive droite du Salat dans la commune de Lacave les trois usines qui existaient ;

qu’un arrêté en date du 15 septembre 1875 a autorisé la remise en état de ces ouvrages endommagés par une crue ;

que ces documents sont de nature à établir l’existence légale de la prise d’eau située sur la rive du Salat, sur le territoire de la commune de Lacave, appartenant à la société hydroélectrique de Lacave ;

que la carte dite de Cassini, dressée entre 1750 et 1770, produite par l’administration, ne permet pas, à elle seule, d’établir que l’acte du 30 septembre 1424 concernerait non le site sur lequel est implantée l’usine appartenant à la société hydroélectrique de Lacave mais un autre moulin situé au lieu-dit la Hirle , moulin dont il ressort d’ailleurs des pièces du dossier, et notamment de la carte produite par l’administration, qu’il n’est pas situé sur les rives du Salat ;

qu’aucun élément du dossier ne permet davantage d’établir que les trois moulins qui sont l’objet de l’acte de vente du 12 mai 1817 n’auraient pas été situés sur l’emplacement sur lequel était implanté le moulin dont la construction a été autorisée par l’acte du 30 septembre 1424 ;

que l’ordonnance du 18 janvier 1847 n’a pas eu pour effet, en autorisant la reconstruction des trois usines existantes, de rendre caducs les droits antérieurement acquis ;

qu’enfin si le ministre invoque un jugement devenu définitif du tribunal administratif de Toulouse en date du 27 août 1984 aux termes duquel l’autorisation accordée à l’usine Lacave par l’ordonnance du 18 janvier 1847 ne lui conférait qu’un simple droit à l’usage de l’eau, ce jugement ne s’est, en tout état de cause, pas prononcé expressément sur l’existence d’un droit fondé en titre ;

qu’ainsi il n’a aucune autorité de chose jugée à cet égard ;

que, dans ces conditions, l’usine appartenant à la société hydroélectrique de Lacave doit être regardée comme étant fondée en titre ;

Considérant, en second lieu, qu’il ressort des pièces du dossier, et notamment de l’expertise ordonnée par les premiers juges, que dès l’année 1424 une digue était établie en travers du Salat afin d’augmenter la hauteur d’eau disponible sur la machine ;

que, par suite, ce barrage fait partie de la consistance légale de l’usine ;

qu’ainsi la hauteur de la chute d’eau peut être évaluée à 2,20 mètres ;

que, par ailleurs, compte tenu de l’existence de cette digue, les trois moulins étaient susceptibles de fonctionner avec le même volume d’eau que celui prélevé pour le moulin à l’origine ;

que l’administration n’apporte aucun élément de nature à établir que l’accroissement de puissance de l’usine appartenant à la société hydroélectrique de Lacave, dont la puissance actuelle peut, selon l’expertise, être évaluée à 834 kilowatts, aurait d’autres causes que les améliorations techniques apportées aux mécanismes de l’installation hydraulique ;

que, dès lors, la consistance actuelle de cette usine doit être regardée comme conforme à sa consistance légale originaire ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède, et sans qu’il soit besoin de statuer sur la recevabilité de la requête, que le MINISTRE DE L’AMENAGEMENT DU TERRITOIRE ET DE L’ENVIRONNEMENT n’est pas fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué du 6 avril 1999, le tribunal administratif de Toulouse a annulé la décision en date du 6 octobre 1994 par laquelle le préfet de l’Ariège a assujetti l’usine exploitée sur le Salat par la SARL hydroélectrique de Lacave au régime de l’autorisation ;

DECIDE :

Article 1er : Le recours du MINISTRE DE L’AMENAGEMENT DU TERRITOIRE ET DE L’ENVIRONNEMENT est rejeté.

Article 2 : L’Etat est condamné à verser à la SARL hydroélectrique de Lacave la somme de 1.300 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la société hydroélectrique de Lacave tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative est rejeté.


Commentaire lu sur http://texteau.ecologie.gouv.fr:

Cette décision illustre – dans un domaine où le fait prime souvent sur le droit – la difficulté pour l’ administration de contester d’ une part l’ existence légale d’ ouvrages anciens eu égard à l’ imprécision de la cartographie de l’ époque, d’ autre part la consistance exacte de ces ouvrages en l’ absence de descriptifs techniques pertinents.

A cet égard, on rappellera que s’ il incombe au propriétaire de l’ ouvrage d’ apporter la preuve de l’ existence incontestée de celui-ci avant la date fatidique de février ou mai 1566 (Edits de Moulins) ou du rattachement de la province considérée au Royaume de France (voire de l’ introduction du principe d’ inaliénabilité dans cette province) s’ agissant des cours d’ eau domaniaux, du 4 août 1789 en principe s’ agissant des cours d’ eau non domaniaux, il appartient à l’ administration – une fois cette preuve apportée par le titulaire – de démontrer soit l’ erreur de fait quant à l’ existence ou la localisation de l’ ouvrage, soit l’ écart entre sa consistance actuelle et la consistance légale résultant du titre d’ origine, ce qui, à vrai dire, n’ est guère aisé.