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Publié : 27 janvier 2013

La construction irrégulière d’un barrage diminuant la puissance d’une usine n’est pas indemnisable si l’usine est elle-même en situation irrégulière. (dec 2007)

Cour administrative d’ appel - 6 décembre 2007

M. X demande à la Cour :

1°) d’ annuler le jugement n° 02-986 en date du 13 juin 2006 par lequel le Tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant, d’ une part, à la condamnation de l’ Etat et de Voies Navigables de France à lui verser une indemnité de 3 764 275 euros en réparation de la perte énergétique subie par ses installations hydrauliques, et, d’ autre part, à ce qu’ une expertise et la démolition du barrage des Soudières soient ordonnées ;

2°) de condamner l’ Etat et Voies Navigables de France à lui verser la somme de 3 764 275 euros ;

3°) d’ ordonner à l’ Etat, à Voies Navigables de France et à la société Novacarb de détruire le barrage des Soudières sous astreinte de 500 euros par jour de retard passé un délai de six mois à compter de l’ arrêt à intervenir ;

4°) subsidiairement, d’ ordonner une expertise afin de fixer son préjudice ;

5°) de condamner l’ Etat et Voies Navigables de France à lui verser une somme de 1 500 euros au titre de l’ article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Il soutient que :

- sa requête n’ est pas tardive et est régulièrement signée par un mandataire ;

- il bénéficie d’ un droit fondé en titre à l’ usage de l’ eau attaché à ses aménagements hydrauliques et dispose en conséquence d’ un droit légitime et juridiquement protégé, sans que puisse être invoqué l’ arrêt du Conseil d’ Etat en date du 10 février 1997 qui a statué sur la situation de ses installations dans l’ état qu’ elles présentaient en 1935, alors qu’ actuellement, les installations ont retrouvé leur configuration d’ origine ;

- à défaut de réponse du préfet sur ses demandes de renouvellement des autorisations accordées en 1935, celles-ci ont fait l’ objet d’ une reconduction tacite ;

- la construction sans autorisation du barrage des Soudières justifie sa destruction, qui ne peut être refusée pour des motifs tenant à l’ intérêt public, et est de nature à engager la responsabilité de l’ Etat qui n’ a pas fait procéder à une régularisation ;

- le barrage des Soudières, qui a provoqué une hausse du niveau de la Meurthe en aval de ses installations et en a diminué la puissance, est à l’ origine de son préjudice économique ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 8 janvier 2007, complété par un mémoire enregistré le 15 mars 2007, présenté pour Voies Navigables de France, représenté par son directeur général dûment habilité, par Me Gros, avocat ;

Voies Navigables de France conclut :

- au rejet de la requête ;

- à la condamnation de M. X à lui verser une somme de 1 500 euros au titre de l’ article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Il soutient que :

- la requête d’ appel risque d’ être tardive ;

- elle est dépourvue de signature ;

- la caducité du titre d’ exploitation de M. X, ainsi que l’ a jugé le Conseil d’ Etat, lui interdit de se prévaloir d’ un quelconque préjudice ;

- la prescription quadriennale est acquise ;

- l’ action indemnitaire devant être rejetée, le tribunal administratif n’ avait pas à ordonner une mesure d’ exécution ou une expertise ;

- en tout état de cause, la Cour ne pourrait que rejeter l’ action en responsabilité qui n’ a pas été précédée d’ une demande préalable et n’ est pas fondée, M. X ne bénéficiant d’ aucun titre d’ exploitation et l’ Etat n’ ayant pas commis de faute ;

- la destruction du barrage des Soudières porterait une atteinte excessive à l’ intérêt général ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 14 février 2007, présenté pour la société Novacarb par Me Sol, avocat ;

La société Novacarb

Elle soutient que :

- M. X est dépourvu de tout droit en titre pour l’ usage de ses aménagements hydrauliques, ainsi que l’ a jugé le Conseil d’ Etat, dont l’ arrêt ne peut être interprété comme statuant seulement sur les installations dans l’ état qui était le leur en 1935 ; qu’ en tout état de cause, il n’ est pas démontré que l’ état des installations a été modifié depuis cette date et qu’ une telle circonstance serait de nature à conférer un droit en titre au requérant ;

- les conclusions tendant à la démolition du barrage ne peuvent être accueillies dès lors que la construction du barrage a été autorisée par arrêté du 7 novembre 1884 et que l’ illégalité, à la supposer établie, a été régularisée par le transfert de la propriété du barrage à l’ Etat ;

- si le barrage était regardé comme un ouvrage privé, la juridiction administrative serait incompétente pour statuer sur sa démolition ;

- les conditions de la démolition d’ un ouvrage public ne sont pas réunies dès lors que la situation pourrait être régularisée et que la destruction du barrage porterait une atteinte excessive à l’ intérêt général ;

___________________________

Considérant que M. X a acheté le 18 septembre 1974 deux installations hydroélectriques, l’ usine de La Butte et l’ usine du Champy, situées respectivement sur les territoires des communes de Varangéville et de Saint-Nicolas-de-Port dans le département de Meurthe-et-Moselle et dont l’ exploitation avait été autorisée par deux arrêtés préfectoraux du 11 janvier 1935 dont la validité expirait le 11 janvier 1995 ;

que M. X demande la condamnation de l’ Etat et de Voies Navigables de France à l’ indemniser des préjudices économiques qu’ il aurait subis depuis vingt-huit ans en raison de la présence du barrage des Soudières, qui élève le niveau de l’ eau en aval de ses usines et en diminue la production ;

qu’ il interjette appel du jugement du 13 juin 2006 par lequel le Tribunal administratif de Nancy a rejeté ses conclusions au motif, d’ une part, qu’ il exploite irrégulièrement ses installations depuis le 11 janvier 1995, faute d’ autorisation et, d’ autre part, que ses créances antérieures à cette date sont prescrites ;

Sans qu’ il soit besoin de statuer sur la recevabilité de la requête :

Considérant, en premier lieu, que sont notamment regardées comme fondées en titre ou ayant une existence légale, les prises d’ eau sur des cours d’ eaux non domaniaux qui, soit ont fait l’ objet d’ une aliénation comme bien national, soit sont établies en vertu d’ un acte antérieur à l’ abolition des droits féodaux dès lors qu’ est prouvée leur existence matérielle avant cette date ;

Considérant, d’ une part, qu’ il est constant que l’ usine de La Butte a été construite en 1851 sur le domaine public et qu’ elle était donc soumise aux règles de la domanialité publique ; que, dès lors, M. X ne peut prétendre qu’ il détient un droit fondé en titre pour cette usine ;

Considérant, d’ autre part, qu’ il ressort des pièces du dossier que l’ usine du Champy, créée en 1516, a été vendue comme bien national le 19 décembre 1791 ;
que son existence légale a été confirmée par un procès-verbal de récolement établi par l’ administration le 21 janvier 1851 ;

qu’ il ressort cependant des pièces du dossier, et notamment de la notice descriptive des installations dressées par la société anonyme des filatures et tissages de Saint-Nicolas-de-Port, qui en était alors propriétaire, que l’ ancienne installation du Champy a été substantiellement modifiée dans sa consistance et son étendue à l’ occasion des travaux engagés après 1918 ;

que, dès lors, son exploitation ne pouvait résulter que d’ une autorisation administrative à compter de cette période, sans que M. X puisse utilement invoquer la circonstance, d’ ailleurs non établie, qu’ il aurait remis les installations de cette usine dans l’ état antérieur à celui autorisé le 11 janvier 1935 ;
que, par suite, M. X n’ est pas davantage fondé à se prévaloir de droits fondés en titre pour cette installation ;

Considérant, en second lieu, que si M. X fait valoir qu’ il a présenté, les 8 janvier 1992 et 24 décembre 1994, deux demandes de renouvellement des autorisations d’ exploiter accordées le 11 janvier 1935, dans les conditions prévues par le décret n° 95-1204 du 6 novembre 1995, il ne saurait utilement se prévaloir d’ un texte postérieur auxdites demandes ;

qu’ à supposer que le requérant puisse être regardé comme entendant invoquer les dispositions du décret n° 93-742 du 29 mars 1993 alors en vigueur, dont l’ article 17 prévoyait que la demande de renouvellement d’ une autorisation devait être adressée au préfet dans un délai d’ un an au plus et de six mois au moins avant la date d’ expiration, il est constant qu’ il n’ en remplissait en tout état de cause pas les conditions dès lors que la demande adressée le 24 décembre 1994 au préfet de la Meurthe-et-Moselle n’ était pas présentée dans le délai prévu par les dispositions précitées et que la demande du 8 janvier 1992 était présentée à Voies Navigables de France et était antérieure à l’ édiction de ce texte ; qu’ ainsi, M. X n’ est pas fondé à soutenir qu’ il disposait d’ une autorisation pour exploiter ses usines après le 11 janvier 1995 ;

Considérant que, dans ces conditions, la circonstance, également non établie, que le barrage des Soudières fonctionnerait sans autorisation est sans incidence sur la solution du litige ;

Considérant qu’ il résulte de ce qui précède que M. X, qui exploite irrégulièrement ses usines depuis le 11 janvier 1995 et qui ne conteste pas la prescription quadriennale pouvant lui être opposée pour la période antérieure au 11 janvier 1995, n’ est pas fondé à soutenir que c’ est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande ;
que, par suite, et sans qu’ il soit besoin d’ ordonner une expertise, ses conclusions à fin d’ indemnisation et tendant à ce que la Cour enjoigne sous astreinte à l’ Etat, à Voies Navigables de France et à la société Novacarb, actuelle propriétaire, de détruire le barrage de Soudières, ne peuvent qu’ être rejetées ;