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Publié : 10 mai 2015

L’état de ruine d’un ouvrage n’empêche pas sa remise en service

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N° 13LY01945 Retour ligne automatique
lecture du mardi 21 octobre 2014

Vu le recours, enregistré à la Cour le 22 juillet 2013, présenté par le ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie ;

Le ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie demande à la Cour :

1°) d’annuler le jugement n° 1100059 du 21 mai 2013 par lequel le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a : Retour ligne manuel
- annulé la décision en date du 22 décembre 2010, par laquelle le préfet du Puy-de-Dôme a rejeté la demande de M. C...tendant à la remise en service du moulin de Lagat, et a refusé de reconnaître le droit fondé en titre à l’usage des eaux de la rivière la Dore attaché à l’usine hydraulique de Lagat à Courpière et de fixer la consistance légale de ce droit ; Retour ligne manuel
- déclaré M.C..., titulaire d’un droit fondé en titre à l’usage des eaux attaché au moulin de Lagat d’une consistance de 282,5 kW ; Retour ligne manuel
- mis à la charge de l’Etat les dépens, fixés à la somme de 14 064,32 euros ;Retour ligne manuel
- mis à la charge de l’Etat une somme de 2 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. B...C...devant le tribunal administratif ;

il soutient que :

- l’eau s’écoulant préférentiellement par la brèche de la digue ne permet plus d’alimenter le bief en permanence ; ainsi le barrage doit être considéré comme en état de ruine puisqu’il n’alimente plus le bief et qu’il n’est plus susceptible d’être utilisé par son détenteur en l’état ; en outre, la ruine de ce barrage n’est pas uniquement consécutive d’une cause naturelle, mais est également due à une volonté humaine de neutralisation du barrage ; Retour ligne manuel
- des modifications substantielles ont été apportées au moulin, telles que la création d’un nouveau barrage de prise d’eau et la prolongation de 200 mètres vers l’amont du bief d’amenée et la prolongation de 230 mètres vers l’aval du bief de fuite ; ces modifications ont eu pour conséquence la modification de la consistance légale originelle ; en outre, les états statistiques de 1899 permettent de fournir la preuve que le débit était de 2,5 m3/s, ce qui porte la consistance légale à 78,5 kW ; enfin, le Tribunal n’a pas pris en compte le débit d’équipement de 5,5 m3/s de la turbine actuellement en place, ce qui permet d’établir une consistance légale de 173 kW ; la valeur de 282,5 kW basée sur un débit de 9 m3/s fixée par le Tribunal ne peut donc être retenue ; Retour ligne manuel
- il reprend à son compte les observations produites par le préfet en première instance ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu l’ordonnance, en date du 3 octobre 2013, fixant la clôture d’instruction au 8 novembre 2013, en application des articles R. 613-1 et R. 613-3 du code de justice administrative ;

Vu le mémoire, enregistré le 8 novembre 2013, présenté pour M. B...C...qui conclut au rejet de la requête et à ce qu’une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de l’Etat sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

il soutient que :

- le moulin de Lagat étant répertorié sur la carte de Cassini en dérivation de la Dore, ses ouvrages bénéficient d’un droit fondé en titre à l’usage de ces eaux ; de l’eau circulant dans les canaux du moulin de Lagat, le barrage étant en bon état apparent à l’exception de son extrémité gauche qui a été emportée par une crue provoquant une brèche, nécessitant des travaux de réparation localisés par enrochement, il ne peut être considéré comme étant dans un état de ruine tel que l’énergie hydraulique ne pourrait plus être utilisée sur le site ; le ministre n’établit pas que le reste du barrage après la crue de 1988 aurait été arasé de main d’homme et que l’ancien propriétaire aurait manifesté sa volonté d’arasement et de renonciation définitive à l’usage de l’eau ; Retour ligne manuel
- le ministre n’établit pas qu’un nouveau barrage aurait été édifié sur le site, ni même que l’hypothétique prolongation des canaux d’amenée ou de fuite qui aurait pu intervenir au cours de l’histoire aurait entraîné un changement de consistance légale du droit fondé en titre ; en outre, les états statistiques de 1899, qui ne constituent pas l’élément le plus ancien permettant de connaître le débit dérivable par le vannage de prise d’eau, pas plus que le débit de la turbine actuellement installée, n’avaient à être retenus pour fixer la consistance légale ;

Vu l’ordonnance, en date du 5 décembre 2013, reportant la clôture d’instruction au 27 décembre 2013, en application des articles R. 613-1 et R. 613-3 du code de justice administrative ;

1. Considérant que le ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie relève appel du jugement du 21 mai 2013 par lequel le tribunal administratif de Clermont-Ferrand après avoir annulé la décision en date du 22 décembre 2010 du préfet du Puy-de-Dôme rejetant la demande de M. C...tendant à la remise en service du moulin de Lagat, et refusant de reconnaître le droit fondé en titre à l’usage des eaux de la rivière la Dore attaché à l’usine hydraulique de Lagat à Courpière et de fixer la consistance légale de ce droit, a déclaré M. C...titulaire d’un droit fondé en titre à l’usage des eaux attaché au moulin de Lagat d’une consistance de 282,5 kW ;

2. Considérant, en premier lieu, que la force motrice produite par l’écoulement d’eaux courantes ne peut faire l’objet que d’un droit d’usage et en aucun cas d’un droit de propriété ; qu’il en résulte qu’un droit fondé en titre se perd lorsque la force motrice du cours d’eau n’est plus susceptible d’être utilisée par son détenteur, du fait de la ruine ou du changement d’affectation des ouvrages essentiels destinés à utiliser la pente et le volume de ce cours d’eau ; qu’en revanche, ni la circonstance que ces ouvrages n’aient pas été utilisés en tant que tels au cours d’une longue période de temps, ni le délabrement du bâtiment auquel le droit d’eau fondé en titre est attaché, ne sont de nature, à eux seuls, à remettre en cause la pérennité de ce droit ;

3. Considérant que le ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, qui ne conteste pas que le moulin de Lagat, qui existait avant 1789, puisse être regardé comme fondé en titre, soutient que ce droit s’est éteint en raison de l’impossibilité d’utiliser la force motrice de la Dore à la suite de l’apparition d’un brèche sur la digue ne permettant plus d’alimenter le bief en permanence ; que toutefois, les clichés photographiques inclus dans le procès-verbal établi par huissier de justice le 21 mai 2010 témoignent de l’écoulement de l’eau dans les canaux jusqu’à la centrale hydroélectrique du moulin de Lagat ; que le rapport en date du 31 juillet 2012 de l’expertise diligentée par le Tribunal par un jugement avant-dire droit du 8 novembre 2011 mentionne également que de l’eau circule dans les canaux du moulin et que le procès-verbal de déplacement sur les lieux établi par le greffe du tribunal administratif, le 14 décembre 2012, après avoir relevé la présence d’un débit d’eau de La Dore d’une valeur conforme au débit moyen annuel, a constaté que " la prise d’eau dérive toujours une partie importante du débit de La Dore vers le canal " et que " le débit d’eau est important dans le canal d’amenée " ; qu’enfin, il ressort des conclusions du rapport d’expertise précité du 31 juillet 2012 que la présence d’enrochements au droit de la brèche formant un seuil permet l’alimentation du bief en toute saison ; que si le ministre produit un cliché photographique montrant l’assèchement du bief, ce document ne peut permettre à lui seul d’établir que l’importance de la brèche présente sur le barrage constituerait un obstacle permanent à l’écoulement du débit de la rivière vers le canal et que le bief ne serait alimenté en eau que lors de crues ou de fortes eaux ; que si le ministre fait également valoir que ladite brèche qui est apparue à la suite de l’importante crue du 18 mars 1988 aurait été agrandie au moyen d’une pelleteuse mécanique, par la société Couzon, alors propriétaire de l’installation, dans le but de neutraliser le barrage et produit un témoignage en ce sens émanant d’un ancien cadre, il résulte de l’instruction et notamment du constat d’huissier précité en date 21 mai 2010 que " l’essentiel de l’ouvrage est cependant en état, le barrage s’étendant sur environ soixante quinze mètres et la brèche étant d’environ dix sept mètres " ; que ce constat a été confirmé par le rapport d’expertise précité qui estime à dix neuf mètres la longueur de la brèche sur une longueur totale de soixante quinze mètres ; que dans ces conditions, la digue ne peut pas être regardée comme étant dans un état tel qu’il ferait obstacle à l’exploitation de la force motrice du cours d’eau, ou qu’il traduirait la volonté de l’ancien propriétaire de renoncer à son droit à l’usage de l’eau ; que par suite, que le ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie n’est pas fondé à soutenir que M. C...ne pourrait être regardé comme étant titulaire d’un droit d’eau fondé en titre pour l’exploitation des eaux de La Dore ;

4. Considérant, en second lieu, que la consistance d’un droit fondé en titre est présumée, sauf preuve contraire, conforme à sa consistance actuelle ; que le ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie soutient que l’installation litigieuse aurait fait l’objet de modifications substantielles consistant en la création d’un nouveau barrage de prise d’eau ainsi qu’en la prolongation de 200 mètres vers l’amont du bief d’amenée et de 230 mètres vers l’aval du bief de suite et que ces modifications seraient de nature à augmenter la force motrice au-delà de la consistance originelle du droit fondé en titre ; que toutefois la seule production d’une carte cadastrale établie en 1810 qui ne permet pas de localiser précisément les différents ouvrages sur les cours d’eau, ne suffit pas à établir l’existence des modifications alléguées qui auraient augmenté la hauteur de chute d’eau originelle du moulin de Lagat ; que si le ministre soutient également que le débit du canal d’amenée doit être fixé à 2,5 m3/s par référence à des états statistiques réalisés en 1899, ces documents qui ne concernent que la capacité productive du moulin alors en activité, ne permettent pas d’établir à eux seuls que la valeur du débit d’eau dérivé aurait connu une augmentation substantielle ; qu’enfin, le ministre ne peut utilement faire valoir qu’il n’a pas été tenu compte du débit de 5,5 m3/s relevé pour le fonctionnement de la turbine actuellement en place, dès lors que la détermination de la puissance fondée en titre s’opère au regard du débit du cours d’eau ou du canal d’amenée apprécié au niveau du vannage d’entrée ; que dans ces conditions, le ministre ne peut être regardé comme apportant la preuve qui lui incombe que la consistance actuelle de l’installation litigieuse serait supérieure à sa consistance d’origine ; que, dès lors, la consistance légale du moulin de Lagat doit être considérée comme étant celle de la consistance originelle du droit fondé en titre ;

5. Considérant qu’il résulte de ce qui précède, que le ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie n’est pas fondé à soutenir que c’est à tort que le tribunal administratif de Clermont-Ferrand, après avoir annulé la décision en date du 22 décembre 2010, par laquelle le préfet du Puy-de-Dôme rejetant la demande de M. C...tendant à la remise en service du moulin de Lagat, et refusant de reconnaître le droit fondé en titre à l’usage des eaux de la rivière la Dore attaché à l’usine hydraulique de Lagat à Courpière et de fixer la consistance légale de ce droit, a déclaré M. C...titulaire d’un droit fondé en titre à l’usage des eaux attaché au moulin de Lagat d’une consistance de 282,5 kW ;

Sur les conclusions au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

6. Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat le versement à M. C...de la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;Retour ligne automatique
DECIDE :Retour ligne automatique
Article 1er : Le recours du ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie est rejeté.Retour ligne automatique
Article 2 : L’Etat versera à M. B...C...une somme de 1 500 euros, en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.Retour ligne automatique
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie et à M. B...C.... Retour ligne automatique
Délibéré après l’audience du 30 septembre 2014 à laquelle siégeaient :Retour ligne automatique
M. Martin, président de chambre,Retour ligne automatique
Mme Courret, président-assesseur,Retour ligne automatique
Mme Dèche, premier conseiller.Retour ligne automatique
Lu en audience publique, le 21 octobre 2014.